LA RECHERCHE

25 avril au 13 juin 2009

La chose est connue : toute recherche vaut par elle même plutôt que par son objet. Le but est toujours prétexte. Mais alors comment donner forme à cette recherche si elle se définit par ce qu'elle n'est pas et qu'il n'est pas forcément souhaitable qu'elle atteigne - pour précisément continuer la recherche ? La chose est connue, donc, mais rarement vue.

Les oeuvres présentées dans l'exposition La Recherche répondent chacune à leur manière à cette question. Si les pièces protocolaires commencées en 1992 June Issue of the German Research Service Bulletin pasteboard et July Issue of the German Research Service Bulletin pasteboard de Liam Gillick invitent leur acquéreur à en continuer la réalisation, ses pièces plus récentes sont autant de recherches pour donner forme à un mixte de savoir, de dispositions techniques et d'évènement technologique (University of Utah #1C). Les sérigraphies de Thomas
Bayrle livrent à la fois le travail du motif et son apparition finale (Fenster, Knopfmann - Herr W./braune Version), ou bien le travail des lignes pour une concrétion du document administratif et de ses intéressés. Les recherches formelles et matériologiques de Leonor Antunes en continuent d'autres plus anciennes, celles de Eileen Gray et Eva Hesse, notamment (Folded back against the pillars, Discrepancies with E.G.II). Philippe Parreno prolonge, sous de nouvelles formes, celles du ventriloque qui se prend pour marionnette, ses recherches sur la constitution d'une subjectivité sans psychologie (Postman Time). Quant aux pièces sonore et vidéo de Trisha Donnelly (Untitled), ne délivrant aucune certitude, mais que des indices, elles rappellent que toute recherche est aussi et d'abord recherche de vérité. Et que c'est là qu'elles n'en finissent plus.

Vues d'exposition, La Recherche, Air de Paris, 25 avril - 13 juin 2009.
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œuvres présentées :

 

Leonor Antunes
Folded back against the pillars, 2008
deux éléments, cuir beige et cordelette noire, clous, 148 x 230 cm, 230 x 30 cm

Transposant des éléments de la Villa E.1027 de Eileen Gray à Roquebrune (l'une des deux seules qu'elle ait construites), qui déjà étaient des transpositions à l'intérieur de la maison d'éléments de construction pour des usages décoratifs, Leonor Antunes retrouve les formes de la sculpteur Eva Hesse. Elle confronte ainsi des formes plastiques modernistes à leur utilisation selon des modalités qui affirment sa déréliction. Il y est toujours question de sculpture et même d'artisanat tant soin est porté aux matières et techniques dans lesquelles ces pièces paradoxales sont réalisées.

Liam Gillick
University of Utah (#1C), 2001
aluminium anodisé, plexiglas opaque, 200 x 200 x 30 cm

La pièce University of Utah (#1C) de 2001 fait partie d'un projet de Liam Gillick en référence à l'université éponyme, lieu de conception des premiers jeux vidéos sur micro-ordinateur. Il s'agit d'un des trois screen réalisés en trois couleurs en tout, chaque élément étant réalisé de deux des trois couleurs bleu/ivoire/orange. Ici orange/ivoire. Liam Gillick donne une forme nouvelle à un moment d'apparition d'un savoir spécifique, en lien avec une technique spécifique. D'ailleurs, dans le projet initial University of Utah, un sticker listait les noms des scientifiques et chercheurs ayant contribué à cette invention. L'oeuvre est ici forme de connaissances, aptitudes, techniques, dispositions modifiées et inventées. Elle transcrit un ensemble de dispositions et dispositifs particuliers qui ont abouti à cet objet hybride, technique et ludique, évident dans son usage et compliqué dans son apparition, transparent à nos yeux et en fait opaque en terme de chemin de connaissance ayant abouti à sa réalisation.

Liam Gillick
A secure future, 2004
tirage pigmentaire qualité archival (encres ultrachrome) sur papier Enhanced Matte
189 gr., cadre, 63 x 45,5 cm

Issu de la série des Public information posters, tirages à encre pigmentaire reprenant la forme du tract et du poster à grand renfort de slogans traduits dans la langue du pays dans lequel la pièce est présentée, A secure future annonce une promesse, mais que des barres verticales cachent et oblitèrent. A la fois floues et nettes, elles créent une profondeur dans l'image. La phrase les traverse-t-elle ? Les traversera-t-elles ? Message clair et forme du message entrent à fois en résonance et contradiction.

Thomas Bayrle
Sparbuch, 1973
impression sérigraphique sur carte, cadre, 68,5 x 55,5 cm
Thomas Bayrle
Knopfmann (Herr W./braune Version), 1973
impression sérigraphique sur carte, cadre, 77 x 63 cm

Thomas Bayrle
Börsenbericht, 1972
impression sérigraphique sur carte, 68,5 x 55,5 cm

Dans ses prints, Thomas Bayrle démultiplie et déforme un motif originel jusqu'à ce qu'il soit recomposé par l'ensemble de ses répétitions. Reflets du micro dans le macro et vice-versa, les images apparaissent à l'instar de monades leibniziennes, unités maximales et tout autant compositionnelles. A moins, que, comme Knopfmann (Herr W./braune Version), ces images n'apparaissent à l'insu de la répétition d'un motif qui n'est originellement que partie (le bouton répété devient portrait du porteur de la veste. Ou encore, que le jeu de lignes de documents administratifs ne laisse apparaître les portraits de ses intéressés. Dans le livret d'épargne est contenue la famille économe (Sparbuch), ou dans les cotations de la bourse l'homme d'affaire (Börsenbericht). Alors le lien entre apparition du motif n'est plus formel mais métonymique, une autre modalité de l'articulation micro/macro.

 

Trisha Donnelly
Untitled, 2005 (pièce vidéo) et Untitled, 2009 (pièce sonore)
dvd en boucle, cd en boucle

Le langage articulé peine à retranscrire les oeuvres de Trisha Donnelly. A les décrire, il les trahit ; à les imiter, il les parodie. Communiqué de presse en russe pour exposition parisienne, présentation d'image différente pour chaque jour de l'exposition ou encore présence de l'artiste pour un vernissage lors du dernier jour de l'exposition, elles agissent sur la forme même de l'exposition. Peut-être est-ce l'idée de vibration, du registre du sonore comme du tactile et du visuel qui rendrait le mieux compte de ses pièces évanescentes et diaphanes, quasi-kynesthésiques tant elles relèvent de l'infra. Elles ne relèvent presque plus de la perception, mais semblent faire appels à nos capteurs de sensation, à nos nerfs.

Leonor Antunes
Discrepancies with E.G.II, 2008
étagère bois, collages sous plexiglas, spot, dimensions variables

Aussi réalisée dans le cadre de l'exposition Original is full of doubts au Credac en 2008, en lien avec la Villa E.1027 de Eileen Gray, Discrepancies with E.G.II consiste en une modélisation de photographies prises dans cette maison, présentée sur une étagère vintage, et éclairée par un spot, tout autant daté, même si les deux pièces sont indéterminées quant à leur concepteur, mais renvoyant à un registre formel similaire. Pas tant contradiction qu’écart, le modèle moderniste se trouve modélisé, éclairé, disséqué, alors qu'il s'agissait précisément de travailler à partir d'éléments simples. L'usage de mobilier de présentation, design devenu display, renforce cette mise en abyme par les méthodes même de la démonstration.

Philippe Parreno
Postman Time, 2007
encre (double signature) sur tirage numérique (lightjet) contrecollé sur aluminium, cadre métal et verre anti-reflets et anti-uv, 153 x 102 cm

Co-curateur avec Hans-Ulrich Obrist et directeur artistique de l'opéra Il tempo del Postino, Philippe Parreno réalisait en 2007 Postman Time,  qui reprenait une image de sa participation. Introduisant les interventions des autres artistes (dont Doug Aitken, Matthew Barney & Jonathan Bepler, Tacita Dean, Trisha Donnelly, Olafur Eliasson, Liam Gillick, Dominique Gonzalez-Foerster, Douglas Gordon, Carsten Höller, Pierre Huyghe, Koo Jeong-A, Philippe Parreno, Anri Sala, Tino Sehgal, Rirkrit Tiravanija...), Philippe Parreno demandait à un ventriloque de dire un texte sur les rapports du temps et de l'oeuvre d'art, derrière un verre grossissant. Il devenait alors à lui-même sa propre marionnette. Le tirage Postman Time, co-signé par le ventriloque et l'artiste, renvoit également à sa précédente oeuvre scénique, The Ultrasonic scream of the Squirrel, dans laquelle un ventriloque utilisait l’artiste comme marionnette. Il Tempo del Postino sera rejoué à l'occasion de la foire ArtBasel au théâtre de Bâle du 10 au 14 juin 2009 (http://www.artbasel.com/il-tempo-del-postino)

Liam Gillick
June Issue of the German Research Service Bulletin pasteboard, 1992
July Issue of the German Research Service Bulletin pasteboard, 1992
feuilles collées sur aggloméré, fiche d'instructions, 2 x (100 x 100 cm)

Au début des années 1990, Liam Gillick réalisa un certain nombre de instruction pieces. Elles consistaient en des consignes de sélection et d'accrochage de documents. Les pièces June Issue of the German Research Service Bulletin pasteboard et July Issue of the German Research Service Bulletin pasteboard de 1992 sont réalisées à partir d'éditions scientifiques que le réalisateur de la pièce sélectionne et  doit coller rapidement sur des panneaux de bois aggloméré carrés de un mètre de côté. Ici sont présentées les réalisations d'époque. Le traitement individuel de l'information scientifique lui fait perdre son caractère scientifique, universel, mais sa forme, l'affichage, paradoxalement, conserve une dimension impersonnelle. Liam Gillick fait ainsi se disjoindre forme et contenu d'énoncés de savoir, comme s'ils étaient vecteurs non de savoir, mais d'idéologie, comme si, finalement, l'énoncé de McLuhan était toujours d'actualité (the medium is the message), même dans les zones de savoir réputées les plus objectives. Néanmoins, avec cette pièce, Gillick ne pensait pas juste au panneau d'affichage d'une communauté scientifique. Il pensait aussi aux modes d'accrochages d'oeuvres d'art et à leurs dimensions textuelles. Le parallèle n'en est pas moins maintenu : tout accrochage est idéologie et pas juste propos contrôlé.