September 15 - November 3, 2018

MICHEL HOUELLEBECQ
Quatrains

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Inscriptions#010, extrait d'un diptyque, tirage pigmentaire (2016) sur papier Baryta contrecollé sur Dibond.

La première opération, la plus importante pour Michel Houellebecq, consiste à cadrer, délimiter une zone du monde, un ensemble qui nie l’extérieur, qui rejette le hors-champ. L’image devient alors une partie du monde qui est le monde en entier. De la même façon, la poésie est pour lui un discours totalisant. Le vers est un mot, une unité nouvelle et indéchirable , un ensemble complet et suffisant, non décomposable, ayant sa logique interne, sa beauté propre, hors de la pensée. Michel Houellebecq l’a souvent dit : il n’y a pas de poète intelligent. L’autre opération consiste à extraire et juxtaposer le vers et l’image, à créer des totalités indissociables à partir d’éléments séparés ; à donner l’impression que les mots du poème préexistent, qu’ils ont été trouvés, comme cette parcelle du monde photographiée était déjà là. Cette plage grise désaturée, ce ciel vide, cette roche immobile, cette surface froide et bleue. Pour sa première exposition à la galerie Air de Paris, Houellebecq produit, comme à chaque fois, une structure. Car il faut croire en la structure, qui nous garde de la souffrance et de la perte. Une structure narrative plus vague que celle d’un roman, proche de celle de ses recueils de poésies 1 , desquels il a extrait des quatrains, en octosyllabes et alexandrins, sous la forme de versification la plus traditionnelle. Houellebecq a souvent évoqué l’importance de la précision de ces anciennes métriques et de la régularité du rythme dans son processus de composition. Le vers est bref, bouclé, reporté au mur dans l’image mais aussi dans les trois chansons extraites de l’album Présence humaine , produit en 2000 avec Bertrand Burgalat sur le label Tricatel. Les poèmes sont scandés, la diction est nette, distincte ; ils contribuent à définir la tonalité des salles, à produire du montage, une continuité ordonnée entre les plans et les choses qui existent pour elles-mêmes. La chanson Présence humaine ouvre sur un paysage post-apocalyptique typiquement “houellebecquien“. On se souvient de celui de la fin de La possibilité d’une île , et de cette victoire triomphante de la poésie sur le roman, qui renvoie à une obsession constante, depuis la jeunesse et la découverte de Lovecraft, pour des lieux qui seraient comme des vestiges du passage humain. Puis on bifurque vers un autre monde plus organique, biologique et végétal, dont les visions macroscopiques visent la puissance et la beauté abstraite du réel, l’ambiguïté immanente du réel. Cette même abstraction que recherchait le biologiste expérimentateur Jean Painlevé avec la microphotographie, qui a abouti à la fin de sa vie à un film psychédélique sidérant exposé en parallèle. La poésie de Cristaux Liquides (1978), dérive là encore d’une description méticuleuse de la nature, d’une théorie de la mesure, de la lumière, de la couleur et des formes. Où la partition de François de Roubaix joue un rôle central et conducteur. Au milieu du parcours, entre les mondes, se trouve une image seule, une rupture brutale et solaire : la vision éclatante d’une route à l’infini, sur laquelle est inscrit un vers : « Nous avions des moments d’amour injustifié ». Le plus beau chant d’amour, Crépuscule , accompagne ce moment. Au milieu du désespoir, se trouve la possibilité d’un paysage éternel, une “traversée sans souffrance et sans bruit“, qui renvoie à une idée inaccessible du bonheur, à un état de conscience que Houellebecq définit comme un “sentiment océanique”, où l’amour dévoile une physique nouvelle.

Stéphanie Moisdon

1 La poursuite du bonheur (1991), Le sens du combat (1996), Paris, éditions Flammarion et Non-réconcilié - anthologie personnelle, 1991-2013 (2014), Paris, éditions Poésie/Gallimard


UK

For Michel Houellebecq the first and most important operation consists in homing in on and marking out a segment of the world, an entity that denies externality and rejects the out-of- frame. The image then becomes a part of the world that is the world in its entirety. In the same way, poetry for Houellebecq is a totalising discourse. The verse is a word, a new, unsunderable unit, a complete, self-sufficient, indivisible whole with its own internal logic and beauty, beyond the realm of ideas. As Houellebecq has often put it, there is no such thing as an intelligent poet. The other operation consists in isolating and juxtaposing verse and image; in creating indissociable totalities out of separate elements; in implying that the poem is a discovery of preexisting words and this photographed fragment of the world something that had been waiting to be found: this grey, bleached-out beach, empty sky, motionless rock, cold blue surface. For his first exhibition at Air de Paris, Houellebecq has established, as always, a structure. We need to believe in structure, which protects us from suffering and loss: a narrative structure vaguer than that of the novel and close to that of his collections of poems 1 , from which he has extracted quatrains of the octosyllables and alexandrines that are the most traditional forms of French versification. He has often stressed the importance in his compositional process of the precision of these ancient metres and of regularity of rhythm. Brief and fully achieved, the verse is brought to the wall as image – but also given expression in the three songs from the Présence humaine album produced with Bertrand Burgalat on the Tricatel label in 2000. The poems, declaimed with diction that is clear and sharp, help fix the tonality of the rooms, generating a montage, an orderly continuity between the flat surfaces and things that exist in their own right. The song Présence humaine lays bare a typically «Houellebecquian» post-apocalyptic landscape. We recall the one at the end of The Possibility of an Island and the triumph of poetry over the novel, that reminder of the ongoing obsession, dating from his youth and his discovery of Lovecraft, with places seemingly vestiges of human transit. Then we branch off towards another more organic, biological, vegetal world, in macroscopic visions of the power and abstract beauty of reality, of its immanent ambiguity. The same abstraction was sought by experimental biologist Jean Painlevé in microphotography which culminated, late in his life, in a mind-blowing psychedelic film also on show here as part of another exhibition: the poetry of Liquid Crystals (1978) also derives from meticulous description of nature and a theory of measurement, light, colour and forms. With François de Roubaix’s score playing a core, guiding role. In mid-voyage, between these different worlds, is a solitary image, a brutal, sunstruck rupture: the dazzling vision of a road to infinity inscribed with the words «Nous avions des moments d’amour injustifié» («We enjoyed moments of unjustified love»). The most beautiful love song, Crépuscule , accompanies this revelation: in the midst of despair can be found the possibility of an eternal landscape, a «painless, noiseless crossing» that conjures up an inaccessible idea of happiness, a state of consciousness Houellebecq defines as «oceanic» and in which love unveils a new physics.

Stéphanie Moisdon

1 La poursuite du bonheur (1991), Le sens du combat/The Art of Struggle (1996) Paris, éditions Flammarion and Non-réconcilié/Unreconciled (2014) Paris, éditions Poésie/Gallimard.




















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